
Le champ académique francophone sur l’Albanie est singulièrement plus réduit qu’en anglais. Il est tout de même possible de trouver des beaux ouvrages. Celui dont le temps est limité devrait s’attacher à lire l’Albanie, forteresse malgré elle de Sébastien Courson pour avoir une compréhension générale de l’Albanie, et ensuite lire les œuvres littéraires Avril Brisé ou le Général de l’Armée morte de Kadaré.
Synthèse et témoignages
Témoignages de Français en Albanie
L’Albanie, forteresse malgré elle – Sébastien Colson (2018).

Une bonne synthèse pour découvrir l’Albanie.
Le livre est court mais complet, Colson raconte brièvement le chemin par l’Albanie et s’achève par des entretiens avec des personnalités albanaises. C’est un excellent livre pour commencer.
54 boulevard Staline – Jean-Paul et Elisabeth Champseix (1990)

Un précieux et rare témoignage d’un couple de professeurs de français à l’Université de Tirana durant les années 1980. C’est une lecture fortement recommandée.
Vous pouvez écouter les Champseix dans l’émission Affaires sensibles de France Inter du 6 mars 2024.
Albanie , la sentinelle de Staline – Jean Bertolino (1979)

Un précieux témoignage de l’Albanie des années 1970. Jean Bertolino est un cinéaste et réalisateur de films documentaires. Il avait pu venir plusieurs fois en Albanie dans les années 1970 et disposait de bons contacts sur place. Le livre est le résultat de la frustration de Bertolino face à un régime qui s’enferme de plus en plus, et des difficultés rencontrées au moment d’y réaliser un film supplémentaire, sous le poids des “oncles” et des censeurs. Sympathisant tolérant, il en devient désabusé. Les passages les plus intéressants concernent ses voyages à travers l’Albanie et ses relations avec des personnalités albanaises (Première partie : le temps des conquêtes ; troisième partie : au temps de la rupture (1972-1977, et la quatrième partie “Le cul-de-sac historique”).
Il n’est pas indispensable de lire la deuxième partie “Résurrection douloureuse d’une nation” qui est un consensé de l’histoire pré-communiste, ainsi que la post-face qui est une discussion idéologique et historiographique du socialisme.
Inoubliable Albanie : souvenirs d’un temps difficile (1966-1968) – Emile Guinard (1990)

Un précieux et rare témoignage d’un diplomate en poste à Tirana durant les années 1960, époque de l’amitié sino-albanaise. Humble, dramatique, drôle parfois. Le Tirana des années 1960, si particulières, dans un régime paranoïaque et hostile. On y découvre les joies d’être un diplomate dans un pays difficile.
La partie ci-dessous est en chantier et sera complétée au fur et à mesure.
Témoignages d’Albanais
à compléter
Littérature
Le Luth des Montagnes – Gjergj Fishta (trad. 2019)

Banni sous le régime socialist, le Luth des Montagnes est un long poème épic qui établit la genèse de la conscience nationale albanaise qui a mené à son indépendance. Le moine Gjergj Fishta s’est ainsi constitué comme l’Homère albanais, en transcrivant à l’écrit une longue tradition des chants oraux épics albanais du Nord de l’Albanie, dans le dialecte guègue.
Le Luth des Montagnes (Lahuta e Malcís) narre les épisodes les plus saillants d’une période qui a vu tout un peuple se dresser et demander sa reconnaissance puis son indépendance. Au début du XIXe siècle, après presque quatre cents ans de domination ottomane, des auteurs commencent à écrire et à publier en albanais. Simultanément, des révoltes armées éclatent à travers tout le territoire qu’habite ce peuple encore mystérieux en Occident. Les écrits comme les insurrections se multiplient tout au long du siècle, pour atteindre leur point d’orgue en 1878 avec la constitution de la Ligue de Prizren et leur généralisation en 1910-1912, aboutissant à l’indépendance du pays. Ce sont ces événements que le poète dépeint avec la fougue et l’enthousiasme de celui qui s’est donné pour objectif d’éveiller la conscience nationale de ses compatriotes. À travers cette fresque épique, le lecteur fait la connaissance d’un peuple, de ses traditions, de ses coutumes, de ses mythes et de son mode de vie.
La traduction récente (2019) en langue française est une réussite, et vient compléter les traductions en allemand et en anglais.

Le Général de l’armée morte est l’un des romans les plus célèbres d’Ismail Kadaré, publié en 1963. Cette œuvre emblématique explore avec une profondeur poignante les thèmes de la mémoire, de la culpabilité collective et de l’absurdité de la guerre. L’histoire suit un général italien, chargé de retourner en Albanie, vingt ans après la Seconde Guerre mondiale, pour récupérer les ossements des soldats italiens tombés sur le champ de bataille. Accompagné d’un prêtre, il arpente les villages et les paysages albanais, où la mémoire des atrocités de la guerre reste vivace.
À travers ce voyage funèbre, Kadaré mêle satire et tragédie, interrogeant l’impact durable de la guerre sur les vivants comme sur les morts. Le roman offre une critique subtile mais acerbe de la vanité des guerres et des tentatives de réécrire l’histoire. Ce récit mélancolique et universel a solidifié la place de Kadaré parmi les plus grands écrivains contemporains, en faisant résonner les voix du passé dans une quête aussi absurde qu’inoubliable.

Le Paumé est le premier roman marquant de l’écrivain albanais Fatos Kongoli, publié en 1992, au lendemain de la chute du régime communiste en Albanie. Cette œuvre, profondément introspective et symbolique, explore les traumatismes individuels et collectifs laissés par des décennies de dictature. À travers le personnage de Thesar Lumi, un homme brisé et marginalisé, Kongoli plonge dans les méandres de l’âme humaine, hantée par la peur, la culpabilité et l’isolement.
Le récit, oscillant entre le présent et les souvenirs oppressants du passé, dépeint une société albanaise déchirée et désorientée, où les individus cherchent à reconstruire leur identité dans un monde libéré, mais dénué de repères. Avec une prose sobre et poignante, Kongoli met en lumière les séquelles psychologiques et sociales de la répression, en inscrivant son œuvre dans une quête universelle de liberté et de rédemption. Le Paumé a ainsi établi Fatos Kongoli comme une voix essentielle de la littérature albanaise contemporaine.

Ylljet Aliçka
Le dernier roman de l’écrivain Ylljet Aliçka, Métamorphose d’une capitale, marque une étape importante dans la littérature albanaise contemporaine. Ce roman se distingue par l’originalité de son écriture et de sa narration. Métamorphose d’une capitale met en scène les bouleversements sociaux soudains et irréversibles qu’a connus la société albanaise au cours de ces dernières années. Avec son humour noir caractéristique, l’auteur entraîne le lecteur dans une tourmente d’événements qui semblent surgir sous ses yeux, au fil de la lecture.
Les personnages de cette histoire paraissent si familiers qu’ils donnent l’impression de refléter des “Moi” déguisés. Les enjeux qu’Aliçka met en lumière, son réalisme proche de celui de Tchekhov, son ironie acerbe et implacable, ainsi que sa capacité à exposer l’aliénation et le faux-semblant, le tout porté par un style unique et incisif, font de ce roman une œuvre majeure de la littérature post-dictature albanaise. Il s’agit d’une fresque de son époque, une époque qui façonne des antihéros finalement vaincus par le grotesque de leur propre existence.
Ce désenchantement profond s’exprime ici à travers un sourire désespéré.